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Le processus de paix d’Israël a toujours été un chemin qui ne mène nulle part

PAR ILAN PAPPE 11 octobre 2020

Première parution en anglais dans jacobinmag.com ( https://jacobinmag.com/2020/10/israel-peace-palestine-oslo-accords-plo )

Deux décennies après l'expiration du processus de paix, entre les sommets de Camp David et de Taba, beaucoup pensent avec nostalgie aux accords d'Oslo entre Israël et l'OLP. Mais l'historien Ilan Pappe soutient que l'échec d'Oslo à accorder la souveraineté aux palestiniens était intégrée depuis le début du processus.

Le 13 septembre 1993, l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) et le gouvernement israélien ont signé en grande pompe les accords d'Oslo. L'accord a été conçu par un panel d’experts Israéliens qui faisaient partie du groupe de réflexion Mashov, dirigé par le vice-ministre des affaires étrangères de l'époque, Yossi Beilin.

Leur hypothèse était qu'une convergence de facteurs fournissait un moment historique opportun pour imposer une solution au camp palestinien : le succès du parti travailliste aux élections israéliennes de 1992, plus conciliant, d'une part, l'érosion drastique de la réputation internationale de l'OLP en raison du soutien de Yasser Arafat à l'invasion du Koweït par Saddam Hussein, d'autre part.

Les architectes des accords ont supposé que les Palestiniens n'étaient pas en mesure de résister à un diktat israélien présentant les concessions maximums que l’Etat juif était prêt à faire à ce moment-là. Le plus que ces représentants du camp de la paix israélien pouvaient offrir était deux bantoustans - une Cisjordanie réduite et une bande de Gaza enclavée - qui jouiraient d'une partie des symboles d'un État tout en restant dans la pratique sous contrôle israélien.

En outre, cet arrangement serait déclaré comme la fin du conflit. Toute autre revendication, comme le droit au retour des réfugiés palestiniens ou la modification du statut de la minorité palestinienne vivant en Israël, a été retirée de l'agenda de "paix".

Recette pour un désastre

Ce diktat était une nouvelle version des anciennes idées israéliennes qui avaient inspiré le prétendu processus de paix depuis 1967. La première était l'option dite jordanienne, qui impliquait la partition - géographique ou fonctionnelle - du contrôle des territoires occupés, entre Israël et la Jordanie. Le mouvement travailliste israélien a approuvé cette politique. La seconde était l'idée d'une autonomie palestinienne limitée dans ces territoires, idée qui était au cœur des pourparlers de paix avec l'Égypte à la fin des années 1970.

Ces différentes idées - l'option jordanienne, l'autonomie palestinienne et la formule d'Oslo - avaient une chose en commun : elles suggéraient toutes la partition de la Cisjordanie entre les zones juives et palestiniennes, avec l'intention future d'intégrer la partie juive à Israël, tout en gardant la bande de Gaza comme enclave reliée à la Cisjordanie par un pont terrestre qu'Israël contrôlerait.

Oslo différait des initiatives précédentes à plusieurs égards. La plus importante des différences était que dans cette recette pour un désastre, l'OLP était le partenaire d'Israël. Il faut cependant dire que l'organisation, et c’est à son honneur, n'a pas - à ce jour - accepté les accords d'Oslo comme un processus achevé.

Sa participation, et la reconnaissance internationale dont elle a bénéficié, ont été le seul aspect positif (ou du moins potentiellement positif) d'Oslo. L'aspect négatif de la participation de l'OLP était le fait qu'une politique israélienne unilatérale d'annexion et de partition progressives des territoires occupés recevait désormais la légitimité d'un accord que les dirigeants de l'OLP avaient signé.

Une autre différence est l'implication d'une équipe universitaire prétendument professionnelle et neutre dans la facilitation des accords. La Fondation norvégienne de recherche, FAFO, a pris en main les efforts de médiation. Elle a adopté une méthodologie très avantageuse pour les Israéliens et désastreuse pour les Palestiniens.

Il s'agissait essentiellement de chercher le mieux que la partie la plus forte était prête à offrir, suivie d'une tentative pour contraindre la partie la plus faible à l'accepter. Il n'y avait pas d'organisation pour le camp défini comme le plus faible. L’ensemble du processus est devenu un processus d'imposition.

Une pilule amère

Nous étions déjà passés par là. En 1947–48, le Comité spécial des Nations Unies sur la Palestine (UNSCOP) a adopté une approche similaire. Le résultat a été catastrophique. Les Palestiniens, qui constituaient la population autochtone, et la majorité dans le pays, n’avaient aucun impact sur la solution proposée. Lorsqu'ils l'ont rejetée, l'ONU a ignoré leur position. Le mouvement sioniste et ses alliés leur ont imposé une partition par la force.

Lorsque Oslo I, la première série d'accords essentiellement symboliques, a été signée, l'absence désastreuse de toute contribution palestinienne n'est pas apparue immédiatement. Ces accords prévoyaient non seulement une reconnaissance mutuelle entre Israël et l'OLP, mais aussi le retour de Yasser Arafat et de l'ensemble des dirigeants de l'OLP en Palestine. Cette partie de l'accord a créé une euphorie compréhensible chez certains Palestiniens car elle masquait bien le véritable objectif d'Oslo.

Cet enrobage d'une pilule amère a vite disparu avec la série d'accords suivants, connus sous le nom d'accord d'Oslo II, en 1995. Même le faible Arafat a eu du mal à les accepter, et le président égyptien Hosni Moubarak l'a littéralement forcé à signer le pacte devant les caméras du monde entier.

Une fois de plus, comme en 1947, la communauté internationale a concrétisé une solution qui répondait aux besoins et aux visions idéologiques d'Israël, tout en ignorant complètement les droits et aspirations des Palestiniens. Et une fois de plus, le principe sous-jacent de la solution était la partition.

En 1947, le mouvement des colons sionistes s'était vu offrir 56 % de la Palestine et en avait pris 78 % par la force. L'accord d'Oslo II a offert à Israël 12 % supplémentaires de la Palestine historique, consolidant le statut du Grand Israël sur 90 % du pays et créant deux bantoustans dans le reste de la région.

En 1947, la proposition était de partager la Palestine entre un État juif et un État arabe. Le récit diffusé par Israël, FAFO et des acteurs internationaux impliqués dans la médiation d'Oslo était que les Palestiniens avaient raté l’opportunité pour un tel État en raison de la position irresponsable et de rejet qu'ils avaient adoptée en 1947. Ainsi, dans un esprit didactique, on leur a offert cette fois un espace beaucoup plus restreint et une entité politique déclassée - certainement pas un État, loin de là.

Géographie du désastre

Oslo II a créé une géographie du désastre qui a permis à Israël de s'étendre sur de nouvelles parties de la Palestine historique tout en enclavant les Palestiniens dans deux bantoustans ; ou, pour le dire autrement, en divisant la Cisjordanie et la bande de Gaza en zones juives et palestiniennes.

La zone A était sous le contrôle direct de l'Autorité palestinienne (AP), avec un semblant d'État, mais aucun de ses pouvoirs) ; la zone B était dirigée conjointement par Israël et l'AP (mais en réalité par Israël) ; et la zone C était dirigée exclusivement par Israël. Récemment, de façon progressive, cette zone a été de facto annexée à Israël.

Les moyens de parvenir à cette annexion ont impliqué le harcèlement, par les militaires et les colons, des villageois palestiniens (dont certains avaient déjà quitté leur maison), la classification de vastes zones comme terrains d'entraînement pour l'armée ou poumons verts écologiques, interdites aux Palestiniens, et enfin des transformations constantes du régime foncier dans l’objectif d’accaparer plus de terres pour de nouvelles colonies ou pour l'extension des anciennes.

Au moment où Arafat est arrivé à Camp David en 2000, la carte d'Oslo s'était clairement déployée et avait créé des situations irréversibles sur le terrain, à bien des égards. Les caractéristiques principales de la cartographie post-Oslo étaient la bantoustanisation de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, l'annexion officielle de la zone du grand Jérusalem et la séparation physique du nord et du sud de la Cisjordanie.

D'autres n'étaient pas moins importantes : la disparition du droit au retour de l'agenda de paix et la judaïsation continue de la vie des Palestiniens à l'intérieur d'Israël (par l'expropriation des terres, l'étranglement spatial des villages et des villes, le maintien de colonies et de villes exclusivement réservées aux Juifs et l'adoption d'une série de lois institutionnalisant Israël comme État d'apartheid).

Plus tard, lorsqu'il s'est avéré trop coûteux de maintenir la présence de colons au milieu de la bande de Gaza, les dirigeants israéliens ont révisé la carte et la logique d'Oslo, pour maintenir celles-ci, en y incluant une nouvelle méthode : imposer un siège terrestre et un blocus maritime de Gaza pour son refus d'être une autre zone A sous l'autorité de l'AP.

Après Rabin

La géographie du désastre, tout comme en 1948, est le résultat d'un plan de paix. Depuis 1995 et la signature de l'accord d'Oslo II, plus de six cents points de contrôle (checkpoints) ont privé les habitants des territoires occupés de leur liberté de mouvement entre les villages et les villes (et entre la bande de Gaza et la Cisjordanie). La vie est administrée dans les zones A et B par l'Administration civile, une structure quasi militaire qui ne fournissait de permis qu'en échange d'une pleine collaboration totale avec les services de sécurité.

Les colons ont poursuivi leurs attaques préventives contre les Palestiniens et l’expropriation de leurs terres. L'armée israélienne avec ses unités spéciales est entrée à volonté dans la zone A et dans la bande de Gaza, arrêtant, blessant et tuant des Palestiniens. La punition collective des démolitions de maisons et des longs couvre-feux et fermetures s'est également poursuivie en vertu de l’ accord de paix .

Peu de temps après la signature d’Oslo II, le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin était assassiné en novembre 1995. Nous ne saurons jamais s’il aurait voulu - ou pu - influencer les développements de manière plus positive. Ceux qui lui ont succédé jusqu'en 2000, Shimon Peres, Benjamin Netanyahu et Ehud Barak, ont pleinement soutenu la transformation de la Cisjordanie et de la bande de Gaza en deux méga-prisons, où les mouvements d'entrée et de sortie, l'activité économique, la vie quotidienne et la survie dépendaient de la bonne volonté d'Israël - une marchandise rare dans le meilleur des cas.

Les dirigeants palestiniens sous Yasser Arafat ont avalé ces pilules amères pour diverses raisons. Difficile de renoncer au semblant de pouvoir présidentiel, au sentiment d’indépendance dans certains aspects de la vie, et surtout à la croyance naïve qu’il s’agissait d’un état de choses temporaire qui serait remplacé par un règlement définitif menant à la souveraineté palestinienne. (Il est à noter que cette direction a signé un accord qui ne mentionne nulle part dans ses documents officiels l'établissement d'un État palestinien indépendant.)

Le mirage de Camp David

Pendant un bref instant en 1999, il a semblé y avoir une base pour un tel optimisme. Le gouvernement de droite de Benjamin Netanyahu avait cédé la place à un gouvernement dirigé par le leader travailliste, Ehud Barak. Au plan du discours, Barak a déclaré son engagement envers l'accord et sa mise en œuvre finale. Cependant, en raison d'une perte rapide de sa majorité à la Knesset, lui et le président américain Bill Clinton, impliqué à l'époque dans l'affaire Monica Lewinsky, ont précipité Yasser Arafat dans un sommet mal préparé et improbable, à l'été 2000.

Le gouvernement israélien a recruté un grand nombre d'experts et préparé des montagnes de documents dans un seul but : imposer à Arafat la conception israélienne d'un règlement définitif. Selon leurs experts, la fin du conflit impliquerait l'annexion à Israël de grands blocs de colonies, une capitale palestinienne dans le village d'Abu Dis et un État démilitarisé soumis au contrôle économique et à la domination sécuritaire israéliens. L'accord final ne comportait aucune référence sérieuse au droit au retour et, bien entendu, comme les accords d'Oslo eux-mêmes, il ignorait totalement les Palestiniens vivants en Israël.

La partie palestinienne a recruté l'Institut Adam Smith à Londres pour l'aider dans ses préparatifs en vue du sommet précipité. Ils ont produit des documents peu étoffés, qui de toute façon n'ont pas été jugés pertinents par Barak et Clinton. Ces deux Messieurs étaient pressés de conclure le processus en deux semaines, dans le seul intérêt de leur propre survie politique intérieure.

Tous deux avaient besoin d'une réalisation rapide dont ils pourraient se vanter (plane, ici, l’ombre de la gestion catastrophique de la crise COVID-19 par Donald Trump et de la paix d'Israël avec les Émirats arabes unis et Bahreïn, présentée comme un grand triomphe pour son administration). Comme le temps était compté, ils ont consacré les deux semaines à exercer une énorme pression sur Arafat pour qu'il signe un accord conclu et préparé d'avance en Israël.

Arafat a plaidé auprès des deux qu'il lui fallait des éléments tangibles à afficher à son retour à Ramallah. Il espérait pouvoir au moins annoncer un gel des colonies et/ou la reconnaissance du droit de l'OLP sur Jérusalem, ainsi qu'une sorte de compréhension de principe quant à l'importance du droit au retour pour la partie palestinienne. Barak et Clinton ont totalement ignoré sa position difficile. Avant le départ d'Arafat pour la Palestine, les deux dirigeants l'ont accusé d'être un belliciste.

La deuxième Intifada

À son retour, Arafat, comme le sénateur George Mitchell l’a rapporté plus tard, a été assez passif et n’a pas programmé de mouvement radical tel qu’un soulèvement. Les services de sécurité israéliens ont rapporté à leurs responsables politiques qu'Arafat faisait tout son possible pour pacifier les membres les plus actifs du Fatah et espérait toujours trouver une nouvelle solution diplomatique.

Ceux qui entouraient Arafat se sont sentis trahis. Il régnait une atmosphère d'impuissance jusqu'à la visite provocatrice au Haram al-Sharif du chef de l'opposition israélienne, Ariel Sharon. L’opération de Sharon, usant de son influence, a déclenché une vague de manifestations auxquelles l’armée israélienne a répondu avec une brutalité particulière. Ils avaient récemment subi une humiliation de la part du mouvement Hezbollah libanais, qui avait contraint les forces de défense israéliennes à se retirer du sud du Liban, ce qui aurait ainsi prétendument érodé le pouvoir de dissuasion d'Israël.

Les policiers palestiniens ont décidé qu'ils ne pouvaient rester les bras croisés et le soulèvement s'est militarisé. Il s'est répandu en Israël où la police raciste, à la gâchette facile, était trop heureuse de montrer avec quelle aisance elle pouvait tuer des manifestants Palestiniens qui étaient des citoyens de l'État israélien.

La tentative de certains groupes palestiniens tels que le Fatah et le Hamas de répondre par des attentats suicides à la bombe s'est retournée contre eux ; les opérations de représailles israéliennes, qui ont culminé avec la tristement célèbre opération Bouclier défensif de 2002, ayant entraîné la destruction de villes et de villages et de nouvelles expropriations de terres par Israël. Une autre réponse fut la construction du mur d'apartheid qui a séparé les Palestiniens de leurs entreprises, de leurs champs et de leurs centres de vie.

Israël a effectivement réoccupé la Cisjordanie et la bande de Gaza. En 2007, la carte des zones A, B et C de la Cisjordanie a été restaurée. Après le retrait israélien de la bande de Gaza, le Hamas a pris le relais et le territoire a été soumis à un siège qui se poursuit encore aujourd'hui.

Né des cendres

De nombreux politiciens et stratèges israéliens sont convaincus d'avoir brisé l'esprit palestinien. Vingt-sept ans exactement après la signature des accords d'Oslo, la pelouse de la Maison Blanche a accueilli une nouvelle cérémonie pour les accords d'Abraham, accord de paix et de normalisation entre Israël et deux États arabes, les Émirats arabes unis et Bahreïn.

Les grands médias américains et israéliens nous assurent que c'est le dernier clou dans le cercueil de l'obstination palestinienne. Ils expliquent que l'Autorité Palestinienne devra accepter tout ce qu'Israël propose, car il ne reste plus personne pour les aider s'ils rejettent ses propositions.

Mais la société palestinienne est l'une des plus jeunes et des plus instruites du monde. Le mouvement national palestinien est né des cendres de la Nakba dans les années 1950 et il pourrait renaître. Quelle que soit la puissance de l'armée israélienne, et quel que soit le nombre d'États arabes qui concluront des traités de paix avec Israël, l'État juif continuera d'exister avec des millions de Palestiniens sous son contrôle au sein d'un régime d'apartheid.

L'échec de Camp David, en 2000, n'a pas été la fin d'un véritable processus de paix. Il n'y a jamais eu un tel processus, depuis l'arrivée du mouvement sioniste en Palestine à la fin du dix-neuvième siècle ; c'était plutôt l'établissement officiel de la République d'Israël sous apartheid. Reste à voir maintenant pendant combien de temps le monde l'acceptera comme légitime et viable, ou s'il acceptera que la dé-sionisation d'Israël, avec la création d'un État démocratique englobant toute la Palestine historique, est la seule solution juste à ce problème.

A PROPOS DE L'AUTEUR

Ilan Pappe est un historien israélien et co-coordinateur de la Campagne pour un seul Etat démocratique (ODSC). Il est professeur au Collège des sciences sociales et des études internationales de l'université d'Exeter, en Angleterre, directeur du Centre européen d'études palestiniennes de l'université et co-directeur du Centre d'études ethno-politiques d'Exeter. Plus récemment, il est l'auteur de Ten Myths About Israel.

From DIALOGUE REVIEW ( www.dialogue-review.com )